L’enjeu principal pour le Cnam dans les prochaines années est de "conserver et renforcer" son identité qui a été affirmée depuis près de neuf ans : "tout part de la mission de service public et des publics accueillis qui sont très importants pour notre pays", déclare à AEF info l’ex-administrateur général du Conservatoire national, Olivier Faron, en dressant le bilan de ses mandats à la tête de l’établissement public.
Nommé recteur de Strasbourg le 2 mars 2022, il insiste sur la "singularité" du Cnam qui se positionne au croisement des mondes de l’enseignement supérieur et de la formation professionnelle continue, en réitérant sa conviction que le Conservatoire doit "travailler avec les universités" mais ne doit certainement pas "être une autre université". Avec le "Cnam entreprises", Olivier Faron estime avoir "posé les bases d’une structure très porteuse pour le Conservatoire".
AEF info : Pourquoi, un an et demi avant la fin de votre second mandat, quittez-vous le Cnam pour un poste de recteur (1) ?
Olivier Faron : Au bout de huit ans et demi, je pense ne pas pouvoir être accusé de ne pas avoir servi la maison Cnam. C’est un véritable investissement humain. Au bout d’une telle période, il est normal que j’envisage d’autres opportunités pour lesquelles j’ai beaucoup d’envie et c’est aussi un challenge. Cette nouvelle fonction est en lien avec la formation et la transmission en me permettant de m'investir au-delà du périmètre strict de l’enseignement supérieur classique, même si avec le Cnam nous avons été très proches du périmètre scolaire.
AEF info : Que retenez-vous des huit ans et demi passés à la tête du Cnam ?
Olivier Faron : Déjà, je tiens à dire que nous avons vraiment mené un travail d’équipe avec Thibaut Duchêne [l’adjoint de l’administrateur général], avec les différents adjoints que j’ai eus et avec le conseil d’administration qui a joué un rôle essentiel.
Si je devais retenir quelque chose de ce que nous avons fait depuis huit ans et demi, c’est que la maison a été transformée et ses missions ont été renforcées. Il me semble important de préserver l’identité singulière du Conservatoire qui occupe une place unique dans notre pays mais aussi à l’international. Il n’y a pas beaucoup d’établissements qui fassent le pont entre l’enseignement supérieur et la formation professionnelle, qui soient présents dans tous les territoires, qui soient le plus gros établissement public à l’international…
J’ai toujours eu une triple vision du Cnam. Le Conservatoire tire la formation professionnelle vers le haut par la recherche ; il vise une formation professionnelle très inclusive ; il porte la mission de service public de la formation professionnelle. Par ailleurs, de par ma présence dans France universités [ex-CPU], j’ai consolidé la place du Cnam avec les universités et au côté des universités. En revanche, pour moi, le Cnam n’a pas vocation à être une autre université mais à travailler avec les universités.
AEF info : Aujourd’hui, est-ce que le Cnam doit rester à cheval entre ces deux mondes de l’université et de la formation professionnelle ou y a-t-il un choix à faire ?
Olivier Faron : Le paradoxe est que tout le monde parle du fameux modèle scandinave en matière de formation professionnelle et de politique jeunesse alors que nos deux systèmes s’écartent au lieu de se rapprocher. Le seul point de jonction de l’enseignement supérieur et de la formation professionnelle est l’apprentissage et, a contrario, il y a toute une série de virages extrêmement importants qui ne sont pas pris. La question du découpage des diplômes et certifications en blocs de compétences n’est pas assez appropriée par les établissements d’enseignement supérieur qui ne vont pas assez vite non plus vers des modes de financement tels que le CPF. Dans le même temps, du côté de la sphère étatique, la force que représentent les universités n’est pas assez prise en compte comme l’a montré le traitement de la question de la qualité en formation professionnelle. On a superposé les couches de la reconnaissance HCERES et Qualiopi (lire sur AEF info) et on a aussi perdu du temps à l’allumage sur la question de l’inscription des diplômes au RNCP.
"La singularité du Cnam est d’être à la fois une force d’innovation et une force de déploiement"
Dans ce contexte, la singularité du Cnam est d’être à la fois une force d’innovation et une force de déploiement. De par notre mission, nous avons un rôle de levier d’innovation, comme nous l’avons été avec la VAE, avec l’Afest… Notre recherche tire vers le haut la formation professionnelle. Aujourd’hui, nous sommes aussi le principal acteur des luttes contre toutes les fractures. La naissance du Bac+1 est une vraie réponse au décrochage des bacheliers.
L’enjeu pour le Cnam est d’avoir conscience qu’il marche sur deux jambes. D’une part, le Conservatoire a un rôle social avec les actions à destination des décrocheurs, des Neet, des bacheliers professionnels, des détenus… Je ne dis pas que nous sommes la seule solution mais nous apportons une partie des réponses. Le deuxième pan de l’activité du Cnam est celui qui est orienté vers les entreprises en étant un acteur qui propose des réponses, y compris sur les territoires.
AEF info : Lorsque vous êtes arrivé au Cnam en 2013, l'établissement était en train de se remettre sur les rails après une période compliquée. Dans quel état pensez-vous rendre le Conservatoire en 2022 ?
Olivier Faron : Le Cnam a connu une extrême phase de fragilisation au milieu des années 2000 (lire sur AEF info). Mon prédécesseur, Christian Forestier, a relancé l’établissement mais il était encore très fragile à mon arrivée et avait un fonctionnement très complexe (lire sur AEF info). En 2013, le Cnam était en "contrôle financier", notre budget était sous contrôle du ministère, et les énergies étaient bridées parce que tout le monde avait peur. Il a d’abord fallu redresser la situation financière et nous y sommes parvenus : aujourd’hui les comptes sont certifiés sans réserve et nous dégageons plutôt des fonds de roulement positifs. J’ai ensuite lancé un grand projet de réorganisation qui a pris du temps à aboutir, "Cnam 2020", qui a permis de créer des équipes pédagogiques nationales, d’avoir une gouvernance construite autour de quatre adjoints et, plus globalement, de réorganiser toute la maison Cnam. Par exemple, nous sommes passés de trois strates (les équipes, départements et écoles) à une seule (les équipes pédagogiques nationales).
Nous avons aussi beaucoup travaillé sur les sujets qui pénalisaient le Cnam comme la facturation, l’encaissement des factures, sur la mise en place d’outils communs aux centres en région, sur la gouvernance de ces derniers. Un bon exemple de notre action est ce qui s’est passé en Auvergne-Rhône-Alpes où le centre du Cnam était en crise financière et qui a enregistré, en 2021, une croissance à deux chiffres malgré la crise sanitaire (lire sur AEF info). Sur un autre sujet, à mon arrivée, il y avait une dynamique enclenchée sur le numérique avec un schéma directeur, que nous avons poursuivi et poussé plus loin avec le "plan FOAD".
En 2013, l’établissement était encore fragile. Il était pénalisé par son mode de fonctionnement et était dans un trend déclinant du nombre d’auditeurs depuis le début des années 2000. Dans le même temps, il y avait des pépites, comme la licence Vaucanson, qui n’étaient pas mises en valeur et que nous avons développées.
AEF info : Parmi tous les projets développés depuis votre prise de fonction, quels sont ceux que vous jugez plus importants ou symboliques que les autres ?
Olivier Faron : Quand nous avons l’honneur et la chance de voir certains de nos projets repris par des politiques nationales, c’est là que nous avons une véritable reconnaissance de notre travail. C'est le cas du Bac+1, qui a été une réussite en soi, et qui a été approprié par les autres établissements. En ça, il est devenu un réel succès (lire sur AEF info). De même, avec le programme "cœur de territoire", nous montrons que le levier formation est important et nous devenons un acteur central des politiques publiques (lire sur AEF info). Autre exemple, notre plan d’investissement sur les formations ouvertes et à distance, qui a suscité des inquiétudes à son lancement, est aujourd’hui au cœur des débats au travers de la question de l’investissement dans les compétences.
"Nous avons posé les bases pour que "Cnam entreprises" devienne, notamment grâce à son directeur, une structure très porteuse pour le Conservatoire"
AEF info : Vous avez également créé le "Cnam entreprise". Où en est aujourd’hui le Cnam sur ce pan du marché de la formation ?
Olivier Faron : En 2013, le Cnam était une maison très complexe. Nous avions plusieurs structures qui s’occupaient des entreprises. Nous avons clarifié le dispositif et nous avons mis des moyens à disposition. Certaines des activités intégrées à "Cnam entreprises" marchent très bien, notamment l’incubateur qui est une superbe réussite. Nous avons de très beaux contrats en BtoB… Nous avons encore de belles marges de progression mais nous avons amorcé une dynamique très vertueuse et, plus important encore, nous avons trouvé un créneau dans notre relation aux entreprises. Je regrette que beaucoup des universités ou grandes écoles, quand elles attaquent le marché de la formation professionnelle, se positionnent sur les niveaux supérieurs, en particulier celui des cadres dirigeants. Nous avons identifié des niveaux plus intermédiaires, par exemple de techniciens, et des besoins de reconnaissance des compétences par la VAE. Nous avons posé les bases pour que "Cnam entreprises" devienne, notamment grâce à son directeur, une structure très porteuse pour le Conservatoire.
AEF info : Quels sont, selon vous, les virages à ne pas rater pour le Cnam à court ou moyen terme ?
Olivier Faron : L’enjeu principal est de conserver et renforcer l’identité que nous avons affirmée et renforcée depuis huit ans et demi : tout part de la mission de service public, des publics que nous accueillons et qui sont très importants pour notre pays. En fait, nous sommes le seul véritable acteur de la formation tout au long de la vie. Après, nous ne sommes pas fermés, nous comprenons qu’il est très important que tout un axe de la politique publique soit porté vers les demandeurs d’emploi, mais n’oublions jamais que la montée en compétences des actifs [en emploi] est au cœur de l’équilibre social.
Je tiens aussi à rappeler que la formation professionnelle est un droit. Ce n’est pas un privilège et elle ne doit pas être réservée à des "insiders" comme c’est encore trop souvent le cas. Quand le Cnam ouvre un "cœur de territoire" à Saint-Laurent-du-Maroni [Guyane] ou à Mamoudzou [Mayotte] pour apporter une réponse de formation professionnelle pour accompagner ceux qui en ont besoin, nous inversons le rapport pour écouter ceux qui en ont besoin. Il ne faut pas fragiliser tous ces projets qui portent l’identité du Cnam.
(1) Olivier Faron, administrateur général du Cnam depuis 2013, a été nommé recteur de l’académie de Strasbourg lors du Conseil des ministres, le 2 mars 2022. Une nouvelle fonction qu’il intègre dès le 3 mars 2022.
Les commentaires récents